Composé de 3 profs, d’une travailleuse sociale et d’une infirmière, le groupe a rencontré beaucoup de contacts et s’est beaucoup déplacé pour se rendre compte de l’évolution de la situation sur le terrain.
Visite d’abord à nos amis les plus chers, au camp de Deisheh et à Halhul, pour voir N., S., R., S..
Malgré la joie des retrouvailles, nous sentons bien que les choses se sont aggravées depuis octobre : présence militaire plus forte, répression directe contre les réfugiés, immobilité de la situation politique depuis janvier, crise économique sans précédent. Les visages sont tristes, tendus.
Hébron nous assène en pleine figure les images les plus écoeurantes de l’occupation, de la colonisation : des colons occupent la vieille ville, et surprotégés par l’armée, font vivre des familles palestiniennes comme des rats, obligées à se terrer dans ce qui reste de leurs maisons, ne pouvant sortir dans la rue que pour trouver à manger. Image de ghetto où les rôles ont été inversés... Comble de cynisme : ces colons réclament le droit au retour pour leur peuple spolié.
A Jericho, le "trou" laissé à la place de la prison qui abritait Saadat ne permet pas d’imaginer la violence de l’assaut et la rage destructrice de l’armée : il faut la description minutieuse des habitants du camp voisin pour se rendre compte que là aussi, il s’agit d’effacer l’histoire jusqu’à éliminer toute trace de vie...
Quelques jours plus tard, c’est l’enterrement des 2 jeunes de Bethléem et de Deisheh assassinés en pleine rue, en plein jour, par les services spéciaux israéliens. Toute une ville et deux communautés unies par le martyre de leur jeunesse, des enfants aux vieillards, tout le monde était là avec la même colère, la même tristesse. Nous avons suivi les cortèges funèbres-manifestations, immenses et dignes, hurlant leur indignation aussi devant tant de barbarie.
Ahmed et Daniel étaient les amis de nombreuses familles que nous connaissons au camp de Deisheh. Ils ne portaient pas d’armes, n’étaient pas des "combattants", n’étaient pas recherchés par Israël. Ils se trouvaient simplement dans leur voiture, au moment du passage de la patrouille israélienne qui les a mitraillés. Un 3e jeune était encore entre la vie et la mort lors de notre départ. L’armée a aussitôt pris le relais des assassins, traînant les corps sur les trottoirs, dans une mare de sang. L’un des corps avait même été dénudé.
Tout notre séjour a été "plombé" par cette tragédie, qu’avaient précédé les quotidiennes incursions militaires nocturnes dans le camp, accompagnées de multiples arrestations de jeunes (dont A., venu en France en novembre dernier, qui a été blessé à la jambe et incarcéré depuis).
L’embargo pratiqué par les USA, le Canada, le Japon et l’Europe contre les Palestiniens, ajouté au blocage par Israël de toutes rentrées de l’argent qui revient légalement à la Palestine, achève de meurtrir une population où les employés publics n’ont pas touché de salaire depuis février (165 000 salaires, ce sont 165 000 familles qui survivaient grâce à ces faibles salaires directement issus des aides occidentales).
Chacun s’est endetté chez l’épicier pour manger, en attendant des jours meilleurs. Mais l’épicier n’a pas été payé lui non plus, et il ne peut donc plus s’approvisionner, ni faire crédit.
La crise économique est visible partout : les travailleurs ou les étudiants n’ont même plus les moyens de payer leur ticket de transport pour aller au boulot ou à la fac, l’activité tourne au ralenti, l’essence ne cesse d’augmenter (plus d’un euro le litre !). Même les salaires du privé sont désormais affectés, à cause de la faiblesse des rentrées...
Nul ne sait combien de temps le peuple tiendra, mais certains syndicats ont dit craindre à Gaza des pillages de banques (voire des faillites, la finance a souscrit des assurances renforcées contre ce risque...), et en Cisjordanie des attaques de commerces alimentaires...
Nous avons constaté dans les familles de Deisheh que l’abondance n’est plus de mise, que parfois on a du mal à s’acheter ne serait-ce que du café...
Les syndicats ont mis leur activité en sourdine, que revendiquer quand le gouvernement n’a pas les moyens de satisfaire la moindre demande ? Le Hamas voulait procéder à une meilleure répartition des salaires, mais à quoi bon légiférer lorsque les salaires ont disparu...
Les Palestiniens s’accordent à dire qu’ils ne veulent pas mettre davantage en difficulté un gouvernement qu’Israël et l’Occident veulent abattre. Ils ne veulent pas de guerre fratricide entre partisans de l’ancien gouvernement et soutiens de l’actuel. Ils ne considèrent pas que leur société soit coupée en deux, entre islam et laïcité. Les gens ont voté Hamas par lassitude, pour montrer leur désaveu de la politique de compromis, voire de compromission du Fatah, à laquelle ils associent toute l’OLP. Mais personne ne croit au risque de radicalisation islamiste, parce que le Hamas n’a pas les structures politiques pour installer un régime de type taliban.
Côté manifestation, nous sommes aussi allées à Bili’n soutenir les activistes israéliens (anarchistes très jeunes) et les militants palestiniens qui continuent de s’opposer à la construction du Mur à l’ouest de Jérusalem.
Peu de monde au final pour un tel enjeu. Les jeunes anticolonialistes sont bien seuls face à l’armée et les affrontements particulièrement violents : un soldat n’aime évidemment pas se faire piquer son bouclier ou sa matraque (surtout par un type du même âge et de la même nationalité), ni recevoir des moellons sur la carrosserie des blindés. Résultat : arrestations multiples et brutales, tirs de bombes assourdissantes, lacrymos comme je n’en avais pas pleuré depuis longtemps... jusqu’au tir à balles réelles contre les jeunes Palestiniens restés longtemps encore à jeter des pierres. Un jeune blessé au bras.
Mais quelle leçon de fraternité ! Au village, les gens se parlaient hébreu et arabe, français et anglais, se donnaient rendez-vous pour le vendredi suivant.
Mais ce type de manif est aussi fortement contesté par d’autres Palestiniens, comme ceux que nous avons rencontrés à Naplouse, qui les jugent dangereuses pour les jeunes et les habitants des villages, car Israël infiltre les manifestants avec des provos et en profite pour réprimer et arrêter les jeunes Palestiniens.
Ces manifs n’arrêtent pas la construction du Mur, qui devrait plutôt être contesté massivement en Israël même et dans les autres pays, alors que là tous les risques pèsent sur les Palestiniens...
Notre interlocuteur et ami du camp de Deisheh (Bethléem), sera au congrès fédéral de SUD Education (Clermont-Ferrand), puis à Besançon à partir du 14 mai. Il est membre du comité populaire du camp, fondateur de l’association BADIL pour la défense du droit au retour des réfugiés, et principal animateur du centre culturel Phénix, dont il a été à l’initiative (centre construit grâce à des fonds japonais). A ce titre, il organise beaucoup d’activités socio-culturelles avec les jeunes du camp (et même au-delà) et cherche à développer des projets de coopération dans le sens d’une "autre résistance à l’occupation" (en ce moment, tournée "triomphale" d’une jeune troupe de théâtre du camp, en Jordanie, sur le thème des réfugiés).
Il souhaite rencontrer les militants et toutes personnes intéressées par des projets de coopération franco-palestiniens.
En attendant que s’ouvrent d’autres perspectives,
N